Déballer l’histoire queer du Canada : entrevue avec l’archiviste Rebecka Sheffield - Archives publiques de l’Ontario
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Déballer l’histoire queer du Canada : entrevue avec l’archiviste Rebecka Sheffield

octobre 24, 2025

Déballer l’histoire queer du Canada : entrevue avec l’archiviste Rebecka Sheffield

Nouveau film qui explore l’histoire du mouvement canadien 2ELGBTQI+

En marche : L’amour et la résistance queers est un film qui souhaite honorer les militants à l’origine du mouvement canadien 2ELGBTQI+. Réalisé par Noam Gonick et produit par Justine Pimlott, le film utilise des documents d’archives rarement vus et des récits à la première personne pour souligner des moments critiques, depuis les descentes policières aux premiers spectacles de drag, et de l’organisation communautaire jusqu’à la Chambre des communes.

Récemment, Joel Dickau, l’un de nos archivistes principaux, a rencontré Rebecka Sheffield, chef, Développement et Gestion des collections, pour discuter de son travail en tant qu’archiviste-conseil sur le projet.

Remarque : la présente entrevue a été modifiée pour des raisons d’espace et de clarté.

Joel : Merci de m’avoir accordé cette entrevue. J’aimerais commencer par vous demander ce qui vous a amenée à travailler sur ce film? Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet?

Rebecka : Avant de me joindre à la FPO, j’ai travaillé en étroite collaboration avec ArQuives : Canada’s LGBTQ+ Archives, partenaire de ce film. Cet organisme se charge de la collecte, de la conservation et de la mise à disposition des documents de la communauté queer du Canada. Le film utilise des images d’archives pour raconter l’histoire de moments critiques dans le mouvement 2ELGBTQI+, et il est lancé à un autre moment critique.

C’était très important pour le réalisateur et la productrice de montrer que c’était un mouvement, une série de contestations, de manifestations et bien sûr de défilés.

Joel : Je trouve intéressant que vous utilisiez le mot « mouvement ». Il ne s’agit pas seulement d’une histoire communautaire; c’est quelque chose de plus, non?

Rebecka : C’est ainsi qu’on me l’a présenté : il faut toujours être en marche, continuer, faire avancer les choses, que ce soit en lien avec le corps médical, l’institution juridique ou même l’église. Ça peut aussi représenter les défilés de la Fierté. Mais la partie « mouvement » était vraiment importante, parce que les histoires que nous avons fini par raconter étaient des moments où les communautés se mettaient en marche ensemble, luttaient ensemble contre l’oppression ou l’incompréhension. Des communautés qui doivent encore continuer d’exercer des pressions pour obtenir ce qui est juste. Ce n’est pas seulement l’esthétique du film, c’est la belle idée qui le sous-tend.

Je ne sais pas comment vous décrirez ça, mais je vais vous laisser le soin de le faire!

Joel : C’était parfait. Ce film, ce n’est pas seulement pour les universitaires, je crois que l’idée va trouver un écho auprès de beaucoup de gens.

Rebecka : En effet. En marche est une métaphore, d’une certaine manière. Mais c’était également clair dès le début qu’on ne pouvait pas raconter l’histoire complète des personnes 2ELGBTQI+ et de nos expériences. Lorsque vous puisez dans des documents d’archives, vous comptez presque exclusivement sur des choses qui se sont produites en public. Nous avons donc montré des contestations, des manifestations, des défilés, puis nous les avons associés à des histoires intimes et personnelles. Mais les documents privés ont été beaucoup plus difficiles à trouver.

Joel : Intéressant. Comment avez-vous fait pour les trouver?

Rebecka : Nous avons parlé à des gens qui étaient là, mais c’était vraiment important pour les cinéastes de ne pas seulement montrer des entrevues, mais aussi des visuels pour soutenir la narration.

Nous avons donc demandé quel genre de collections nous devrions examiner. J’ai rencontré beaucoup d’archivistes de cette façon, ravivé des amitiés, obtenu des faveurs, parlé à des gens de l’Université Dalhousie et de l’Université de la Saskatchewan. On a fini avec 22 feuilles de calcul bien remplies.

Joel: Ha!

Rebecka : Ce n’est pas une blague! J’ai passé mes soirées et mes fins de semaine à découvrir tout ce que je pouvais à travers le pays.

Joel : Wow! C’est incroyable. Alors, qu’avez-vous trouvé? Qu’est-ce que ces documents disent sur l’histoire des 2ELGBTQI+ au Canada?

Rebecka : Les plus anciennes photos que nous avons trouvées datent des années 1920. D’autres documents apparaissent dans les années 1950 et 1960. Mais on retrouve beaucoup de documents lorsque la communauté commence à s’autodocumenter dans les années 70 et 80, et surtout dans les années 90 grâce aux caméras portatives.

Photo en couleur de deux drag queens noires, l'une debout devant un microphone, posant dans une robe blanche avec un boa en plumes rouges, l'autre debout, dans une robe rouge et tenant un microphone.

Drag queen jamaïco-canadienne se produisant dans un bar de la rue Yonge.

Joel : Pourquoi les gens n’étaient-ils pas en mesure de s’autodocumenter plus tôt?

Rebecka : L’un des activistes que nous avons interviewés a souligné qu’il était risqué de développer un film. Quelqu’un pouvait vous dénoncer, vous causer des problèmes, ou simplement détruire votre film. Les documents qui ont survécu, de belles photographies en noir et blanc de fêtes, de pique-niques et d’événements publics, ont été développés par des gens qui pouvaient installer des chambres noires dans leur sous-sol.

Puis il y a eu une poignée de gens – je suis sérieuse, environ dix personnes au Canada – qui possédaient et développaient des images de 8 mm. Ces gens ont pris le risque de développer leurs films eux-mêmes.

Malheureusement, les documents personnels étaient souvent jetés. Lorsque des membres d’une famille découvraient qu’un proche était gai ou queer, ils pouvaient jeter des journaux intimes ou des documents personnels parce qu’ils avaient honte. Ce que nous avons est précieux, mais ce ne sont que des aperçus.

Joel : Wow. Ce sont des documents tellement importants.

Rebecka : En effet, ils prouvent que les gens queers existent aujourd’hui, qu’ils existaient hier, qu’ils existeront demain. En l’absence d’un patrimoine commun, nous avons été opprimés, réduits au silence, cachés. Grâce à ces documents, nous pouvons construire un patrimoine commun, nous pouvons montrer qui nous sommes et comment nous pouvons aller de l’avant.

Joel : Quels documents les Archives publiques de l’Ontario offrent-elles pour les personnes qui voudraient en apprendre davantage?

Rebecka : Je recommande vivement aux gens de commencer par le fonds David Troster. J’aimerais souligner un document en particulier, soit le défilé de la Fierté gaie de Toronto en 1991, filmé par David Troster. Il n’y a pas de son, c’est juste un très beau film. On suit son mouvement alors qu’il marche à travers la foule. C’est ça l’essentiel du film En marche. Il vous entraîne dans la joie du moment. Il vous fait ressentir la tristesse ambiante alors que vous passez devant le monument commémoratif du SIDA. Vous voyez des gens qui regardent les noms de leurs proches. Et il y a tellement d’autres beaux moments à découvrir dans ce film.

Visionnez le film

En marche : L’amour et la résistance queers est disponible sur le site Web de l’Office national du film du Canada.