Comme sujets de ses croquis à Blythe Farm et dans les environs, Anne choisit d’authentiques scènes d'« arrière-pays », sans beaucoup d'embellissements ni de licences artistiques. L'absence (d'après les normes esthétiques européennes) de traits « rustiques », de ruines pittoresques et de décors « admirables » ne favorisait pas l’idéalisation romantique. Néanmoins, Anne était confrontée à un conflit artistique : comment représenter ce paysage sans, d'une part, se montrer indûment critique à l'égard de sa nouvelle patrie – et sans, d’autre part, compromettre ses compétences artistiques déjà considérables. Pragmatique, elle adopta des critères esthétiques nouveaux, en explorant une thématique inédite : humbles cabanes en rondins, clôtures en zigzag, vastes étendues sauvages. |
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![]() Church at Fenelon Falls, Ontario, 1837 | ||
Pour la représentation que nous voyons ici, l’artiste s’est placée en contre-bas. L'église, à peine visible au sommet de la colline, est une petite construction dans le lointain, écrasée par l'immensité sauvage, implacable et apparemment infinie. |
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Pendant toute les années passées au lac Sturgeon, en plus de la direction du ménage, des travaux de ferme et de ses relations écrites et visuelles, Anne s'acquitta de tâches communautaires à divers titres : elle fut la première personne à enseigner aux enfants de l'endroit et elle établit la première « bibliothèque de prêt »; elle servit d'« apothicaire » et d'« infirmière », organisa les dons de bienfaisance aux familles pauvres et s'occupe de l'église. |
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![]() Cliquer pour un agrandissement (60ko) [Autoportrait d' Anne Langton], 1840 |
La miniature que nous voyons ici est l'un de deux autoportraits qui font partie de la donation Garland. Le 24 juin 1840, jour de son trente-sixième anniversaire, Anne écrivait : « Je… me dirige à grands pas vers l'âge fatidique de quarante ans! » (LR, 224). C'est à ce moment – et non quatre ans plus tard, pour marquer son quarantième et « fatidique » anniversaire – qu'elle peignit son dernier autoportrait connu. Un peu avant, elle avait écrit, de façon caractéristique : « Malgré tous les inconvénients, il y a tant de bonheur à avoir un but dans la vie, à se sentir réellement utile aux autres… (GUC, 75). Dorénavant, dans son personnage de dame de la bonne société « d'un certain âge », un peu sourde, avec des parents vieillissants à sa charge, Anne voyait ses perspectives matrimoniales s’évanouir; et des préoccupations au sujet de son avenir commencent à pointer. | |
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Mrs. John Langton [née Dunsford], 1845
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![]() Cliquer pour un agrandissement (71ko) John Langton, 1845 | |
Les deux portraits ci-dessus, peints l'année du mariage de John et Lydia, sont peut-être les deux derniers qu'ait exécutés Anne Langton. Le talent de miniaturiste d'Anne était alors à son apogée; pourtant, fait ironique, c’est l’époque où l'artiste accompli était sur le point de céder le pas au photographe et au processus photographique comme moyen privilégié de documenter événements et personnages. |
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L'année 1846, qui suivit celle du mariage de John et Lydia, fut chargée d'angoisse pour la famille et la collectivité. Cet été-là, le fléau annuel de la fièvre paludéenne frappa avec une virulence particulière. Anne, très malade elle-même, dut s'occuper de sa mère Ellen et de sa tante Alice, qui moururent à six semaines d'intervalle. Nombre de voisins succombèrent aussi. Lydia et John perdirent leur premier enfant, à l'âge de deux semaines. En 1847, les survivants de la famille se rendirent en Angleterre; John et Lydia y restèrent trois semaines, Anne y séjourna trois ans. La résidence de William devint son port d'attache. Sa vie était à un point tournant. Désireuse de ne plus se « disperser », elle envisagea d'accepter un poste d'enseignante dans un pensionnat pour jeunes filles, dirigé par son amie Eliza Lowe, à proximité de Londres. Mais, au fond, elle préférait retourner au Canada. Lorsque John et Lydia l'invitèrent à vivre chez eux, elle accepta avec joie; elle les aidera à élever leurs jeunes enfants et à diriger le ménage. De retour au Canada en 1850, Anne était heureuse de renouer avec la vie à Blythe. Les petits, Ellen et Thomas, eurent bientôt un frère, Harry, né en 1851. Désormais assurée d'un foyer, Anne trouva sa place dans un chaleureux cercle familial, à titre de sœur et de tante bien-aimée, comblant ainsi son souhait « de se sentir réellement utile aux autres ». |
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![]() Blythe farm, Ontario, [vers 1851]
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Elle semble avoir délaissé son art pendant une année ou deux, vraisemblablement en raison de ses occupations familiales. Le croquis ci-dessus montre Blythe Farm dans un décor achevé. Des années de travaux ardus ont transformé la propriété en une oasis de bon goût. Ironie du sort, c’est à ce moment que les Langton s’apprêtent à quitter « Blythe-in-the-backwoods » – et pour toujours. |
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