Cumberland et Storm ont exercé leur métier pendant une période de maturation de l’architecture. Pendant la plus grande partie du 19e siècle, on utilisait le titre « architecte » très librement et beaucoup de ces personnes, y compris Cumberland et Storm, combinaient plusieurs activités, comme l’arpentage et l’ingénierie, pour gagner leur pain. Malgré l’absence d’un corps dirigeant, l’architecte commençait à se considérer comme un professionnel.
L’évolution du dessin a suivi celle de l’architecture et de la profession d’architecte. Lorsqu’on construisait un bâtiment selon une méthode ou un modèle traditionnel, le client, l’architecte et le constructeur n’échangeaient pas d’explications détaillées. En fait, l’architecte n’était pas souvent nécessaire et nombre de décisions touchant la conception et les détails étaient laissées au constructeur ou prises à mesure que la construction avançait. La première aile d’Osgoode Hall, commencée en 1829, a probablement été bâtie de cette façon.
Les architectes de l’époque victorienne ont fait renaître beaucoup d’anciens styles architecturaux, parfois en les combinant, et ont emprunté à d’autres cultures. La connaissance traditionnelle des constructeurs se trouvait dépassée par cette architecture d’érudits et d’artistes.
Plus les bâtiments s’éloignaient des conventions, plus les clients et les entrepreneurs avaient besoin de plans et d’instructions détaillées, ce qui a mené à la variété et à la complexité croissantes des dessins. Ceux-ci ont progressivement distingué l’architecte professionnel de l’artisan. John Ewart, « architecte » de la première aile d’Osgoode Hall, était un constructeur et un concepteur de bâtiments doué, mais il ne possédait pas la polyvalence d’hommes comme Cumberland et Storm. Il a finalement décidé de laisser la conception à d’autres pour se consacrer à la construction.
Les dessins d’Osgoode Hall montrent clairement que Cumberland et Storm ne voulaient pas laisser de décisions de conception aux artisans. Les architectes précisaient des détails concernant le plâtre, le taillage des pierres et la menuiserie, ainsi que l’aménagement et les finis intérieurs. Les dessins renvoyaient tout entrepreneur nécessitant plus de renseignements aux architectes.
On sait que pour Osgoode Hall, Cumberland et Storm se sont inspirés de leur formation, de leur expérience (dans le cas de Cumberland, avec Sir Charles Barry, architecte britannique reconnu), de leurs voyages et des travaux publiés d’autres architectes. Leurs bibliothèques étaient bien garnies, mais en 1856, Cumberland a demandé au Barreau de lui prêter son exemplaire en cinq volumes de The Architectural Antiquities of Great Britain (1807) de John Britton, qui comprenait des vues, des élévations, des plans, des sections et des détails de bâtiments anglais. Le Barreau a consenti à prêter les volumes pour aider à la préparation des dessins, mais apparemment, ils ont jamais été rétournés.
L’architecte s’inspire parfois de ses travaux antérieurs. Il y a une ressemblance frappante entre les dessins du Geological Museum de l’Université de Toronto (Cumberland and Storm, vers 1857-1858), l’intérieur proposé de la salle de l’Assemblée législative dans les édifices du Parlement d’Ottawa (non construite, Cumberland and Storm, 1859) et le Convocation Hall d’Osgoode Hall (W. G. Storm, 1882).
Les dessins d’Osgoode Hall sont vraiment impressionnants. Plus important encore, ils ont été préservés ensemble. Les dessins architecturaux sont normalement créés en groupes. Un bâtiment est un objet tridimensionnel, mais le papier a deux dimensions. Des techniques comme la perspective et l’ombrage peuvent donner l’illusion de la profondeur sur papier, mais depuis longtemps, les trois dimensions d’une construction sont représentées séparément par différentes vues : les plans, sections et élévations. Les architectes et les constructeurs ont aussi établi des conventions - un langage commun - pour que l’architecte puisse communiquer ses intentions malgré les limitations du dessin. La collection de dessins d'Osgoode Hall donne aux chercheurs d'aujourd'hui une vue sans précédent de l'évolution de l'édifice.
L’architecte produit rarement un dessin sans autre but que le dessin même. Il peut l’utiliser pour montrer au client les mérites de sa conception et le convaincre d’investir son argent dans certains détails architecturaux ou éléments de conception. Le dessin transmet aussi les renseignements techniques que requiert le constructeur pour transformer les idées de l’architecte en édifice.
Les dessins d’Osgoode Hall présentent divers niveaux de qualité et de détail, parfois sur la même feuille. Il y a des croquis rapides au crayon où l’architecte essaie un concept, des dessins techniques précisant les mesures et les détails, y compris des instructions de production et d’assemblage, et des dessins de présentation, repassés à l’encre et colorés avec soin, qui portent la signature du cabinet et qui ont servi à éblouir les administrateurs du Barreau. La stratégie a porté fruit : la construction du nouveau Osgoode Hall a commencé en 1856.